28.3.10

J’étais juste là, jetée violemment dans quelque chose de plus froid et sophistiqué que d’habitude. Je me sentais comme lorsque l’on se fait couper vingt centimètres de cheveux et que l’on se cache derrière des platanes pour ne pas attirer l’attention. Il n’y avait aucun platane, seulement des dizaines de tombes, et soudain, le trou. Un trou creux, long, profond, avec une terre humide et sombre, comme on jardine. Je ne pensais pas que le trou serait là, étrangement, je ne pensais pas que cette blessure béante allait s’offrir à nous ainsi. Je m’attendais à quelque chose de plus, de plus «dans la norme», de moins provoquant. J’ai eu cette soudaine impression qu’on avait creusé un trou semblable dans tous les corps de la cérémonie, que l’on se baladait creux comme des écrous.
Il n’y avait pas de pelle posée sur le sol, aucun homme n’avait de gant de jardinage, le trou avait été creusé plus tôt dans la matinée, bien avant l’arrivée du cercueil. Je trouvais ça dingue, que des hommes aient été en train de creuser pendant que l’on chantait à l’église. Je n’y avais pas songé, j’ai pensé avoir raté quelque chose, un peu comme lorsque l’on oublie un anniversaire, que les choses se déroulent, mais se déroulent sans nous, et que l’on s’en rend compte bien plus tard. Comme lorsque l’on veut nous préserver, que l’organisation des humains nous ménage.
Ils ont descendu le cercueil au bout de deux cordes, bien en cadence, j’imaginais l’objet lourd, lourd d’un corps mort, est-ce qu’un corps mort pèse plus lourd qu’un corps habité? En cela qu’il ne se porte plus du tout ni ne tente de s’élèver. J’ai souvent porté ma tête, en la laissant tomber dans le creux de ma main, en essayant de ne plus exercer aucune force dans mon cou. Mais je crois que c’est impossible, de ne plus exercer la moindre force pour se maintenir, rien qu’un peu. Notre tête semble alors peser aussi lourd qu’un sac de voyage pour un week-end minimum.

5 commentaires:

  1. Ta façon de raconter est belle, dans un sens.

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  2. Je te lis toujours.
    et j'ai pas le temps de te répondre tellement tes mots ont de sens pour moi, depuis tellement de temps que je te lis...
    Et tellement c'est fort à chaque fois...

    à bientôt dans mon emploi du temps !

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  3. C'est très TRÈS beau.
    Chapeau.

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  4. Je lis ton blog depuis "sans queue ni tige", je reste surprise de tes textes, de tes illustrations. Pour moi, tu es comme un livre qu'un enfant lit: on s'attend toujours à une surprise à la page suivante et on n'est jamais déçue.
    Aujourd'hui, je me dois tout de même de réagir à ce texte. Peut-être n'y tiendras-tu pas compte mais comme aucun effort n'est vain, je tente le coup.
    J'ai 21 ans et je suis en première année de psychomotricité à Lyon et nous travaillons sur un système de soin mettant en jeu le corps humain (d'avant la naissance à la mort) et cette phrase m'a interpelé : "Mais je crois que c’est impossible, de ne plus exercer la moindre force pour se maintenir, rien qu’un peu". Il est en effet possible de ne plus exercer la moindre force, de se laisser faire totalement. Cela arrive lors d'une séance de relaxation par exemple. Mais lors d'une mobilisation passive d'un membre on s'en rend mieux compte. Je m'explique même si ceci est compliqué: lors d'une grande détente, on réalise quelques manipulation sur son bras, en partant du poignet et en allant jusqu'à l'articulation de l'épaule en stimulant chaque articulation. Le patient ne fait en aucun cas intervenir ses muscles et on se rend alors bien compte du poids qu'un corps inerte a.
    Voilà voilà.
    J'espère que je n'ai pas été trop loin dans mes explications.
    Au plaisir de poursuivre mes surprises dans chacun de tes articles.
    Noémie.

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